Accueil > Partages > Cahier d’un milicien dans les rangs de la CNT-FAI [04]

Cahier d’un milicien dans les rangs de la CNT-FAI [04]

dimanche 26 mars 2023, par Albert Minnig (CC by-nc-sa)

Le Réveil anarchiste N°983 – 9 Octobre 1937

La nuit venant, nous décidons de rentrer à notre base. A peine arrivés au castillo, qu’un cavalier apporte des ordres pour partir en avant. L’artillerie fasciste aperçoit notre mouvement et tire pendant une demi-heure, sans toutefois nous atteindre. Nous prenons position sur une petite montagne, où nous sommes dévorés par une multitude de moustiques. La nuit passe sans une escarmouche. Au petit matin, vers 4 heures, nous chargeons les mitrailleuses et nous avançons dans une région qui nous est inconnue. Des patrouilleurs qui étaient partis en avant, reviennent et annoncent que le castillo n’est plus occupé par les fascistes. Nous arrivons et après un rapide examen nous allons prendre position sur les hauteurs environnantes, en vue d’une éventuelle attaque ennemie. Deux jours passent rapidement, pendant lesquels nous fortifions les parapets bâtis en hâte pour se garer des bombardements de l’aviation et de l’artillerie, qui nous harcellent chaque jour. Enfin la troisième nuit, plusieurs pièces d’artillerie de 7.5 et 15.5 arrivent et prennent immédiatement position. Nous nous réjouissons, pensant qu’enfin ça va chauffer et c’est avec peine que nous freinons notre enthousiasme. L’attaque nous est promise pour la manana, terrible habitude espagnole de tout remettre au lendemain. La nuit nous paraît bien longue, tant nous sommes impatients et le soleil se lève sans qu’aucun signal soit donné. L’immense confiance dans le capitaine français technicien commence à diminuer et pendant la journée il est emprisonné pour s’être livré à des actes de violence et menaces de mort sur un camarade espagnol. Garcia Oliver et Carlo Rosselli, à qui nous avions fait parvenir un mot, accourent immédiatement et tiennent conseil avec les délégués nommé par le détachement. Le capitaine est remis en liberté, après avoir fait la promesse que des incidents de cette nature ne se reproduiraient pas. La décision d’avancer la nuit est prise, après en avoir étudié toutes les possibilités. Les préparatifs terminés et la nuit tombant, nous avançons en file indienne en suivant le pied de la montagne. La pluie, qui a commencé à tomber avec violence rend la marche très pénible, le terrain étant très glissant.

Ce serait folie que d’attaquer sur un terrain où nous faisons toute une gymnastique pour se tenir en équilibre. Nous nous arrêtons dans un endroit très favorable pour organiser la défense. Des parapets sont construits en vitesse, avec des pierres et recouverts avec des herbes, pour mieux dissimuler notre présence.

Le jour revient à peine, notre travail est achevé et nous apercevons en face de nous, à travers la brume matinale, un gros château bien construit et perché sur un mamelon qui domine la plaine qui nous en sépare. Les fascistes qui ignorent notre présence, vont et viennent dans les alentours à environ 400 mètres de nous. Nous ne tirons pas une seule cartouche, espérant mieux exploiter notre merveilleuse position. Tout à coup, des obus sifflent à faible hauteur sur nos têtes, et les explosions de nos batteries se font entendre. Les obus tombent à une cinquantaine de mètres du château, mais la deuxième salve s’en rapproche. Le tir devient plus rapide et plusieurs obus crèvent la façade, avec des explosions formidables.

L’artillerie fait rage, nous apercevons des hommes qui cherchent à s’enfuir par la gauche, derrière un monticule Immédiatement nous ouvrons un feu nourri, pour leur couper la route, mais la fumée des explosions nous gêne considérablement et nous préférons économiser notre munition.

A midi, le calme est revenu, nous en profitons pour nous sécher et nous reposer un peu. Le soir, nous doublons la garde que nous portons un peu en avant. Vers une heure, nous sommes alertés par les plantons qui ont entendu du bruit, nous dressons l’oreille, le doigt sur la gâchette, prêts à faire feu. Un Espagnol, qui a vu une ombre, fait la sommation d’usage. La réponse ne se fait pas attendre : Ne tirez pas, je suis un camarade, et un homme s’approche les mains levées. Il est interrogé et répond docilement. Il remet une lettre dont nous prenons connaissance. Ce sont, parait-il, des camarades qui étaient en service régulier, mais ils n’osent déserter, pensant que des représailles seront faites sur leurs parents, qui habitent en territoire fasciste. Ils nous conseillent d’attaquer le plus vite possible, car ils sont une centaine, bien décidés de tuer les phalangistes qui les commandent et nous laisser maîtres de la position. Ils seraient de ce fait considérés comme morts ou prisonniers et rien ne saurait justifier des menaces envers les leurs.

Nous remercions le porteur qui, après s’être copieusement ravitaillé, repart, nous laissant le cœur plein d’espoir. Nous dépêchons un camarade au Comité de guerre, espérant mettre à profit tous ces renseignements. Il revient avec des instructions, mais nous ne devons pas bouger, étant en position d’appui. L’attaque se fera par la gauche avec le bataillon italien. Le jour n’a pas commencé à poindre que l’attaque se déclenche et le bruit se rapproche rapidement. Les fascistes se replient immédiatement vers le château, mais en dehors de notre champ visuel et nous regrettons amèrement de ne pouvoir intervenir. L’artillerie commence et touche très bien le but pendant que notre aviation, qui vient d’arriver, décrit de grands cercles et en trois fois lâche ses bombes qui éclatent dans un bruit de tonnerre. Le château disparaît par instants dans la fumée et la poussière et nous pensons que les fascistes doivent avoir abandonné la position. L’aviation disparaît et l’artillerie cesse son feu.

Les Italiens ont réussi à ’s’avancer à une centaine de mètres du château et demandent des mitrailleuses de renfort. Le capitaine, nous l’avons su plus tard, refuse formellement, disant que c’est trop risquer que d’avancer des armes trop lourdes et peu transportables. Les Italiens sont alors obligés de se replier en dehors du feu fasciste, après avoir essuyé un feu très nourri de mitrailleuses.

Après midi, le calme est complet et un grand drapeau blanc flotte à une fenêtre du château. Nous sommes très inquiets de ce signal et le capitaine, pour se racheter, nous demande d’aller en rampant, tâcher de s’introduire à l’intérieur du château. Nous pensons que cela suffisait de s’être laissé prendre une fois et que là où une compagnie avait à peine suffi, il ne fallait pas y aller à dix. Nous demandons d’essayer avec une camion blindé, mais à peine sort-il de la route, qu’il s’embourbe dans le terrain rendu trop mou par les pluies récentes. Il y a pourtant des blessés et pour aller les chercher il faut passer à découvert plus de cent mètres. Une ambulance tente de passer ; mais immédiatement, les mitrailleuses crépitent et elle fait marche arrière. Le chauffeur ne veut pas aller plus loin, un milicien saute à sa place et l’ambulance réussit à passer à toute vitesse. Son retour est salué par un feu violent, mais heureusement le milicien n’est pas touché. (A suivre.)