Soleil Noir n°16 - Avril 1994

Benjamin Péret est né le 4 juillet 1899 à Rézé (petite ville située au sud de Nantes). Il compte donc parmi ces « écrivains » dont on dit qu’ils sont nés avec le siècle. Autre signe distinctif, il fera partie de ces nombreux jeunes gens qui de 1914 à 1918, dans la boue des tranchées et le bruit de la canonnade, avec des forêts de barbelés pour tout horizon, apprendront à leurs dépens « les bienfaits du progrès et de la civilisation ». L’expérience traumatisante de la guerre laissera (...)

Telles deux locomotives lancées l’une contre l’autre sur une voie unique, la France et la Prusse vont se livrer. à la fin des années 1860, à une délirante guerre des effectifs.

Mon nom n’a aucune importance. Pour l’état-major je ne suis qu’une bête, une bête de somme. Toute la nuit j’ai creusé des tombes. Tous les cinq mètres.
Un boulot absurde et abrutissant. Une discipline de fer.

Moi, j’ai participé à une tentative de sortie, au Bourget.
Pluie, froid, faim et fatigue... A 4 heure du matin, on a enterré des ouvriers prussiens et parisiens dans un jardin. Du fond de leur misère, ils se ressemblent tous...

Mais c’est tout l’état-major qu’il aurait fallu liquider. Comme indifférents, les Prussiens encerclaient méthodiquement la capitale, tirant sur nos ballons fuyant le piège...

Tout Paris réclamait la déchéance de ce fantoche. La bourgeoisie « républicaine » se vautrait à l’Hôtel de Ville. Bonne fille, la tout nouvelle république nous laissait choisir nos officiers.

Comme on était bôô dans nos tenues neuves à bandes rouges. Et comme on gueulait fort.
Un jour, on a conspué l’officier « Machinchose » qui nous passait en revue.
Finalement, le Napoléon a finit par nous céder : retour sur Paris.
Puis le Poléon y s’est rendu aux Pruscos, à Sedan.

Le camp de Châlons-sur-Marne : des milliers de tentes et de bivouacs fumants. Un foutoir général. Le paradis des traîneurs de sabre...
Pas même une gamelle où foutre la graille. Et puis les flingots, des modèles périmés, bricolés, « à tabatière »...
Tout cela puait le cassage de gueule, la boucherie organisée.

La mobilisation tournait au cirque général. Comme j’avais tiré un bon numéro, on m’a muté dans la Garde Mobile.

C’est que le « Poléon » venait de déclarer la guerre à la Prusse, pour une sombre histoire d’honneur national. Une insulte à laver dans le sang. Le sang des autres, évidemment...