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Le Libertaire n° 242, 16 août 1924

Mohamed Saïl (1894-1953) : « Le calvaire des indigènes algériens »

jeudi 4 mars 2021, par Mohamed Saïl (CC by-nc-sa)

Tous les hommes naissent libres et égaux en droits. C’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui raconte cela. Mais il est facile de prouver que cette égalité n’a jamais existé pour nous, indigènes algériens.

Nos droits, les voici, tels que les comprennent les canailles sanguinaires, les pirates rapaces qui, sous prétexte de colonisation, nous ont apporté les soi-disant « bienfaits » de leur « civilisation ».

Ils consistent à voir les terres sur lesquelles nous sommes nés, que de père en fils nous fécondions de notre labeur, qui nous donnaient de quoi vivre librement et fièrement, accaparées par nos « bienfaiteurs ».

Il est vrai que nous avons le « droit » de travailler sur ces terres qui nous ont été volées, des 10 et 12 heures par jour pour un salaire dérisoire de cinq francs. Or la vie est chère en Algérie, très chère pour nous et nos familles.

Nous avons un autre « droit » que ne nous contestent pas, au contraire, les entrepreneurs de charniers patriotiques, c’est celui d’aller crever sur les champs de bataille pour la défense de la France si généreuse. Nous en avons, en 1914 et les années qui suivirent, largement « profité ». On nous arme même contre nos frères de race qui ont le courage de résister à l’envahisseur. C’est sans doute au nom du « droit des peuples à disposer d’eux mêmes ».

Il nous faut subir également sans rien dire toutes les vexations que la fantaisie des administrateurs et des bureaux s’acharnent à nous imposer.

Le fascisme italien n’est pas plus odieux que les méthodes de la colonisation employées par les fonctionnaires de la République française. Il n’y a donc rien d’étonnant que, les dépouilles crevant de faim, n’ayant d’autre alternative que de mendier ou de trimer comme des forçats pour un salaire de misère, un très grand nombre d’indigènes fuient cette civilisation « à coups de triques ».

Beaucoup se sont dit que, puisqu’ils étaient bons pour défendre la France, ils avaient le droit de trouver sur son sol, en travaillant, de quoi vivre. En fait, la condition de l’indigène qui travaille en France n’est pas à comparer à celle de celui qui reste en Algérie.

Quand il arrive, même s’il est sans travail, il trouve près des Algériens une assistance qui ne se pratique guère dans d’autres milieux.

Il tombe, évidemment, sous une exploitation, mais tout. de même moins sauvage que celle qu’il subit dans son pays.

Naturellement, les gros propriétaires, les négriers d’Algérie et de Tunisie ne voient pas d’un bon œil cette émigration qui leur procure de gros bénéfices. Aussi, pour l’empêcher, ils ont recours à des crapules politiciennes qui n’ont rien à leur refuser.

Et ce qu’un gouvernement du bloc national avec Poincaré n’avait pas fait, le gouvernement du bloc des gauches avec Herriot n’a pas craint de le tenter.

C’est ainsi qu’on pouvait lire dernièrement dans Le Quotidien qu’une réglementation allait être instituée pour l’admission dans la métropole des travailleurs indigènes.

Cette réglementation a pour but, comme l’a déclaré l’un des membres de la commission, M. Marius Mouret, de permettre la pénétration judicieusement progressive d’éléments indigènes répondant par leur aptitude physique et professionnelle aux exigences des différentes branches de l’activité nationale métropolitaine.

La Commission a voulu que l’indigène qui vient travailler en France ne soit plus exposé éi quitter son foyer sans avoir la certitude préalable de trouver en France au moins l’équivalent de ce qu’il abandonne.

La commission interministérielle, dont les travaux furent présidés par M. Duvernoy, directeur des Affaires algériennes au ministère de l’intérieur, a décidé également la création en France d’organismes d’assistance et de protection pour les travailleurs indigènes.

Dorénavant les travailleurs algériens et nord-africains, avant de s’embarquer pour la France, devront produire un certificat (l’engagement visé par le ministère du Travail, un certificat médical et une carte d’identité avec photographie délivrée par te maire ou l’administrateur de la commune où l’indigène est domicilié.

Le ministère de l’Intérieur a décidé que ces mesures seraient appliquées à partir du 1er octobre 1924.

Donc, à partir du 1er octobre, les administrateurs pourront empêcher le départ pour la France de ceux qu’ils embarquaient quand il s’agissait d’aller combattre ceux qu’ils appelaient des barbares. Je sais, et d’autres sauront s’ils ne s’en sont pas encore aperçu, où sont les barbares. Ce sont les politiciens hypocrites qui n’ont rien à envier à Mussolini. Et pour bien montrer cette hypocrisie, je leur affirme que l’indigène ne quitte son pays que parce qu’il ne peut plus y vivre, parce qu’il y est abominablement pressuré, exploité. C’est un esclave qu’ils veulent conserver à ceux qui l’ont dépouillé de sa terre natale.

Ce qu’il abandonne en Algérie, M. Marius Mouret, député « socialiste », c’est un peu de misère.

Voilà ce que vous prie un Algérien et qui ajoute : Prenez garde qu’un jour les parias en aient marre et qu’ils ne prennent les fusils que vous leur avez appris à manier pour les diriger contre leurs véritables ennemis, au nom du droit à la vie, et non comme autrefois pour une soi-disant patrie marâtre et criminelle.