Soleil Noir n°16 - Avril 1994

Telles deux locomotives lancées l’une contre l’autre sur une voie unique, la France et la Prusse vont se livrer. à la fin des années 1860, à une délirante guerre des effectifs.

Mon nom n’a aucune importance. Pour le patron je ne suis qu’une bête de somme. Treize heures par jour, je coupe du câble. Tous les cinq mètres, clac...
Un boulot absurde et abrutissant. Une discipline de fer.

Le soir, je bouffe un peu de pain et deux patates. Puis je m’effondre sur mon grabat, au milieu du taudis collectif. Vidé.
J’erre dans un gouffre. Un abîme parisien, morne et sans joie.
Un enfer impérial...

Parfois, des copains mieux informés, des typographes, des bronziers, nous causent de Blanqui l’insurgé ou de Proudhon, l’homme des associations ouvrières de production...

Quel est votre état ? - Prolétaire.
- Ce n’est pas un état.
- C’est l’état de trente millions de Française qui vivent de leur travail et sont privés de leurs droits politique.

C’est que le « Poléon » venait de déclarer la guerre à la Prusse, pour une sombre histoire d’honneur national. Une insulte à laver dans le sang. Le sang des autres, évidemment...

La mobilisation tournait au cirque général. Comme j’avais tiré un bon numéro, on m’a muté dans la Garde Mobile.

Le camp de Châlons-sur-Marne : des milliers de tentes et de bivouacs fumants. Un foutoir général. Le paradis des traîneurs de sabre...
Pas même une gamelle où foutre la graille. Et puis les flingots, des modèles périmés, bricolés, « à tabatière »...
Tout cela puait le cassage de gueule, la boucherie organisée.

Comme on était bôô dans nos tenues neuves à bandes rouges. Et comme on gueulait fort.
Un jour, on a conspué l’officier « Machinchose » qui nous passait en revue.
Finalement, le Napoléon a finit par nous céder : retour sur Paris.
Puis le Poléon y s’est rendu aux Pruscos, à Sedan.

Tout Paris réclamait la déchéance de ce fantoche. La bourgeoisie « républicaine » se vautrait à l’Hôtel de Ville. Bonne fille, la tout nouvelle république nous laissait choisir nos officiers.